Haoues Seniguer
Le 15 janvier 2015
Si l’on s’intéresse à la question de l’engagement politique des jeunes musulmans de France, il est essentiel de rigoureusement circonscrire un terrain d’enquête qui est en même temps un terrain de réflexion continue. Les types d’engagement au nom de l’islam, en France en particulier, demeurent multiples et ne sauraient être enfermés dans des formes homogènes de militantisme ou d’activisme.
Ces derniers mois, je me suis particulièrement penché sur les mobilisations via le Web, qui utilisent explicitement ou implicitement une grammaire religieuse à connotation musulmane, et j’ai, à cet effet, entrepris d’analyser leurs motivations. Cette présence sur la Toile d’acteurs sociaux, jeunes et moins jeunes, se réclamant de l’islam, loin de se réduire à être purement virtuelle, a produit, sur le terrain, certains effets.
J’en prendrai pour exemple les Journées de Retrait de l’Ecole (JRE) initiées par Farida Belghoul, et abondamment relayées ensuite par le président du Collectif des Musulmans de France (CMF), Nabil Ennasri. On a assisté alors à une alliance inédite entre acteurs sociaux de la droite, voire d’extrême droite, nationaliste catholique (à l’islamophobie assumée ou non publiquement), et de musulmans français ou de France pourtant traditionnellement engagés contre l’islamophobie et le racisme. Ce que l’on a désigné sous le nom de « théorie du genre » et dont on disait qu’elle était enseignée dans les écoles à l’insu des parents, relevait presque exclusivement de la rumeur, puisqu’il ne s’agissait, en fait, que de lutte contre les inégalités hommes/femmes et contre l’homophobie.
Le succès de la rumeur a démontré la réceptivité de certains milieux, musulmans ou non, à des modes plus ou moins élaborés de conspirationnisme. Cette alliance, conjoncturelle ou durable entre certaines associations musulmanes et la droite ou l’extrême droite chrétienne, peut être la conséquence du « brouillage idéologique » contemporain parfaitement analysé par le sociologue français Philippe Corcuff, ou l’un de ses symptômes avancés : le clivage de classe laissant apparemment place à un projet théologico-centré et hyper normatif au plan moral. Le combat contre l’acceptation de la pluralité des orientations sexuelles et contre la critique des stéréotypes de genre est perçu, à cette aune, comme la mère de toutes les luttes sociales, dont il vient prendre la place.
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Haoues SENIGUER
Maître de conférence en science politique à l’Institut d’Études Politiques de Lyon (IEP) Sciences Po Lyon
Chercheur associé au GREMMO, UMR 5291 http://www.gremmo.mom.fr/annuaire/seniguer-haoues
Chercheur associé à l’Observatoire des Radicalismes et des Conflits Religieux en Afrique (ORCRA), Centre d’Études des Religions (CER), UFR des Civilisations,Religions, Arts et Communication (CRAC), Université Gaston-Berger, Saint-Louis du Sénégal
Auteur d’une thèse de doctorat de science politique (à paraître en 2015 sous la forme d’un ouvrage) sur les islamistes marocains du PJD, du Petit précis d’islamisme: des hommes, des textes et des idées, Paris, L’Harmattan, IREMMO, 2013.
Membre du comité de rédaction de Confluences Méditerranée