Déclaration de N. Vallaud-Belkacem sur les sorties scolaires

 » Le principe c’est que dès lors que les mamans (les parents) ne sont pas soumises à la neutralité religieuse, comme l’indique le Conseil d’État, l’acceptation de leur présence aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception. « 

Najat Vallaud-Belkacem s’est exprimée à l’Observatoire de la laïcité, mardi 21 octobre 2014. La ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a rappelé « la mission que la République a dès l’origine confiée au service public de l’éducation : transmettre nos valeurs essentielles, former des citoyens, apprendre le respect des autres, mettre une culture en partage ».

Seul le prononcé fait foi,

Je suis heureuse de ce temps d’échange sur un sujet essentiel pour notre société et pour l’école. Je connais l’expertise de l’Observatoire et je tiens à vous dire combien vos avis éclairent les politiques publiques que nous conduisons.

Ma conviction sur la laïcité est qu’elle est un principe essentiel et intangible garant du vivre ensemble, qui ne peut être à géométrie variable, soumis aux fluctuations des contextes sociaux ou politiques, négocié avec tel ou tel groupe de pression, ou enfin présenté de manière différente en fonction d’intérêts partisans ou d’objectifs qui lui sont exogènes. Cette intangibilité signifie que nous devons éviter deux écueils : la laïcité dégradée, ou laïcité ouverte, qui abdiquerait son ambition et son sens par des petits reculs ou des compromis successifs ; la laïcité dite de combat, qui stigmatise le fait religieux et constitue parfois le masque de l’islamophobie.

La liberté religieuse est une expression de la liberté de conscience. La Laïcité n’est pas l’instrument d’une opposition ou d’un refoulement du fait religieux, mais la condition de la coexistence harmonieuse de toutes les expressions confessionnelles, comme de leur absence. Je pense que le principe de Laïcité doit sans cesse être explicité ainsi, pour être compris. C’est le beau sens de la pédagogie de la laïcité qu’Abdenour Bidar a développé, j’y reviendrai.

Dans cette période difficile, nous avons plus que jamais besoin de laïcité. Aussi, je serai extrêmement impliquée et exigeante pour que ce principe soit respectée pour ce qu’il est. Il faut recréer du consensus national sur la laïcité, faire qu’elle cesse d’être un combat pour être d’abord un moyen : moyen d’apaiser la société, de faire vivre une culture de la tolérance. Je veux tendre vers une Laïcité qui échappe aux conflits théoriques et aux passions politiques, qui trouve sa place dans nos vies quotidiennes en étant comprise, vécue, assumée.

L’école est évidemment le meilleur vecteur de cette ambition. Face au délitement du vivre ensemble, aux tensions identitaires, aux provocations qui mettent en cause la laïcité, il est nécessaire de réaffirmer le rôle de l’école dans la transmission des valeurs républicaines, de lui redonner pleinement sa fonction de creuset de la citoyenneté et de restaurer la confiance envers l’école de la part d’une société inquiète. La loi de refondation de l’école réaffirme sa mission de favoriser l’appropriation du principe de laïcité. La laïcité garantit un cadre propice à la transmission des savoirs et des compétences, à leur apprentissage et à leur appropriation. L’enjeu est de promouvoir une école qui transmette une appartenance républicaine autour d’une culture commune et partagée, qui respecte les différences tout en se protégeant des irruptions identitaires et en prévenant les logiques de radicalisation. Cela passe aussi par une école capable d’éveiller les consciences, de développer la liberté intellectuelle et l’esprit critique. Il ne faut pas seulement développer la laïcité à ou dans l’école, mais faire en sorte que l’école délivre une pédagogie de la laïcité, qu’elle ancre ce principe dans les esprits comme dans les pratiques. Plusieurs chantiers sont essentiels à mes yeux :

  • Préparer et mettre en œuvre le projet d’enseignement moral et civique : prévu pour la rentrée 2015, cet enseignement a fait l’objet d’un rapport du conseil supérieur des programmes du 3 juillet 2014 pour les écoles primaires et le collège. Concernant les lycées, un rapport complémentaire est attendu pour cet automne, ce qui me permettra  d’arrêter les programmes après consultations au premier trimestre 2015.
  • Amplifier l’ambition pédagogique par la formation, tant initiale que continue, accompagner la communauté éducative, les services administratifs, sociaux et les autorités académiques. Des efforts importants ont été engagés, qu’il convient de soutenir davantage :
    – Le plan national de formation prévoit une formation dédiée et dans le cadre des plans académiques de formation continue, plus de 5000 enseignants, inspecteurs et chefs d’établissement ont été formés en 2013-20014.
    – En matière de formation initiale des enseignants, la Laïcité figure dans le tronc commun des enseignements. Nous aurons à homogénéiser les pratiques des ESPE et à développer des ressources pédagogiques dédiées que la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) élabore avec des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE) pilotes autour d’Abdenour Bidar.
    – Compte tenu des difficultés signalées par les enseignants au quotidien, nous allons développer sur la plateforme m@gistere un parcours d’e-formation sur l’enseignement laïc des faits religieux, complémentaire du parcours existant, très général sur la laïcité (histoire, textes fondateurs, présentation explicitée de la Charte, QCM).
  • Améliorer l’animation territoriale et les réponses de proximité pour mettre en œuvre une pédagogie de la laïcité : nous disposons dorénavant d’un réseau constitué de correspondants Laïcité dans les académies. Il s’agit pour l’avenir de soutenir leurs initiatives, de leur permettre de faire remonter les réalités de terrain, d’harmoniser les pratiques et les réponses de l’institution aux situations complexes auxquelles nous sommes confrontés. Tout ne se joue pas sur l’expression de principes ou de normes, tout ne se règlera pas par des lois, des décrets ou des circulaires. Je souhaite que nous épaulions davantage les décideurs de terrain, afin de faire émerger une culture pratique de la Laïcité, de donner une réalité à l’idée de pédagogie de la Laïcité, qui suppose de former et d’outiller les agents publics. La pédagogie de la Laïcité, ce sont des pratiques porteuses de sens à la fois pour l’institution et pour ses usagers, élèves, familles, partenaires associatifs et collectivités locales.
  • Redonner un élan à la Charte de la laïcité : nous savons que cette Charte a fait l’objet d’une bonne diffusion dans les établissements scolaires, mais d’une appropriation très hétérogène. Nous avons invité la communauté éducative à faire vivre cette Charte au sein des établissements scolaires, notamment en utilisant les réunions de rentrée, qui permettent de mobiliser à la fois les élèves et leurs parents. Mais je suis consciente qu’il sera probablement nécessaire d’aller plus loin et je réfléchis à ce stade sur l’avis que vous avez émis au titre de l’Observatoire, préconisant d’organiser des actions symboliques autour de la date du 9 décembre, en souvenir de la loi du 9 décembre 1905.

Au-delà de ces chantiers ambitieux, je tiens à vous dire ma conviction sur le contexte actuel, à l’heure où les tensions communautaires et religieuses prospèrent, où les logiques identitaires sont à l’œuvre. Je ne suis ni naïve, ni angélique, je mesure la difficulté de la situation et de la tâche, mais je refuse que l’école comme la laïcité soient vécues ou se vivent comme des citadelles assiégées.

À cet égard, la Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) a rendu en avril 2014 les conclusions d’une enquête menée auprès de trente académies sur le respect du principe de laïcité à l’école, qui atteste d’une situation globalement apaisée :

  • la Charte de la Laïcité a fait l’objet d’une bonne diffusion et d’un affichage massif et visible, quoiqu’il n’ait pas toujours revêtu le caractère solennel souhaité. La Charte de la laïcité à l’Ecole apparaît bien comme un outil considéré comme très utile par la communauté pédagogique pour poser un cadre commun, un outil nécessaire mais non suffisant pour faire respecter la laïcité de l’école.
  • Le non respect de la loi de 2004 n’a fait l’objet que d’un très petit nombre d’incidents, réglés le plus souvent par le dialogue. Globalement, la loi est bien acceptée et bien comprise par les élèves et leurs familles. Elle contribue à faire régner, dans les écoles et établissements, un climat apaisé autour de la laïcité.
  • Globalement rares, présentées comme marginales ou très localisées, les contestations de certains enseignements concernent le fait religieux (refus de visiter des édifices religieux, de suivre un cours sur l’Islam ou un cours de français utilisant comme support la Bible.), la musique (refus de chanter ou de souffler dans un instrument à vent),  l’éducation physique et sportive (natation particulièrement),  l’éducation à la sexualité, l’histoire de l’évolution (en cours de SVT), le génocide arménien et la Shoah.
  • Sur la restauration scolaire, les académies indiquent qu’une offre de menus répondant à la diversité culturelle des élèves prévaut et que les problèmes sont ainsi très circonscrits.
  • En conclusion, si le climat est serein, c’est également avant tout parce que les personnels exercent une vigilance permanente et recherchent une résolution des conflits par le dialogue, avec la volonté de créer une culture commune partagée.

Pour autant, au-delà de ce constat global qui n’ignore pas des difficultés locales graves et des situations de radicalité inquiétantes, il nous faudra travailler ensemble sur des questions qui continuent d’interroger l’institution régulièrement.
Je pense notamment à la situation des parents accompagnateurs de sorties scolaires. Tout en rappelant mon attachement à la neutralité du service public, je vous indique que ma position est conforme à celle qu’a rappelée le Conseil d’État : « les parents accompagnant des sorties scolaires ne sont pas soumis à la neutralité religieuse ». Ils ne peuvent être considérés comme des agents auxiliaires du service public et soumis aux règles du service public. Pour autant, il peut y avoir des situations particulières, liées par exemple à du prosélytisme religieux, qui peuvent conduire les responsables locaux à recommander de s’abstenir de manifester leur appartenance ou leurs croyances religieuses. C’est un équilibre qui doit être trouvé par les responsables de terrain et les cas conflictuels restent heureusement limités. Pour autant, je veux réaffirmer un principe et une orientation. Le principe c’est que dès lors que les mamans (les parents) ne sont pas soumises à la neutralité religieuse, comme l’indique le Conseil d’État, l’acceptation de leur présence aux sorties scolaires doit être la règle et le refus l’exception.
L’orientation, c’est celle de l’implication des familles dans la scolarité de leur enfant et la vie de l’école. Au moment où je veux absolument renouer le lien de confiance, qui s’est distendu, entre les parents et l’école, au moment où nous voulons multiplier les initiatives de terrain en ce sens, tout doit être mis en œuvre pour éviter les tensions. Cela suppose d’éviter les provocations et de faire preuve de discernement. Je fais confiance aux acteurs de terrain et je serai attentive à ce que cette logique d’apaisement et d’implication collective pour la réussite des enfants soit partout mise en œuvre.

En conclusion, je veux simplement vous dire ma détermination à agir pour développer la pédagogie de la laïcité à l’école. Ce n’est pas un chantier subalterne ou connexe aux autres, c’est pour moi un enjeu central, parce qu’il emporte avec lui la place et le rôle de l’école dans la société. Nous ne pouvons pas nous résigner à voir se déliter chaque jour un peu plus la capacité de nos concitoyens à vivre ensemble. Nous ne pouvons pas accepter de laisser une partie de notre jeunesse s’éloigner de valeurs fondamentales, comme la Laïcité.

Pour cela, il nous faut renoncer à l’incantation et agir. Agir là où c’est le plus efficace, là où se forge notre conscience collective : à l’école. C’est la mission que la République a dès l’origine confiée au service public de l’éducation : transmettre nos valeurs essentielles, former des citoyens, apprendre le respect des autres, mettre une culture en partage. L’école doit être apaisée et protégée. Protégée des prosélytismes, protégée des irruptions identitaires, protégée des polémiques stériles. C’est pourquoi les chantiers que je vous ai décrits comme la résolution des difficultés qui subsistent ou émergent mobiliseront pleinement les compétences de l’institution dont j’ai la responsabilité


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