Liberté religieuse : la neutralité absolue peut-elle être imposée aux salariés

publié le 24/09/2014 à 11H30 par Service juridique – CFDT

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Un règlement intérieur qui entend interdire aux salariés le port de tout signe ostentatoire, politique, syndical ou religieux, face à la clientèle, porte une atteinte trop importante à leur liberté individuelle, notamment religieuse. Ainsi, un supermarché qui demanderait à sa salariée de retirer son voile en caisse, et la licencierait suite à son refus, s’expose à voir ce licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse. CPH de Lyon, 18.09.14

 

  • Obligation de neutralité religieuse disproportionnée et injustifiée

Hôtesse de caisse dans un supermarché de la région lyonnaise, une salariée est revenue de congé parental en portant un voile religieux. Elle refuse de le retirer à son poste de travail. Licenciée pour ce motif, la salariée a saisi la justice, qui lui a donné raison, en reconnaissant que le licenciement était sans cause réelle et sérieuse et en lui octroyant 10 000 € de dommages et intérêt pour discrimination. La salariée et son avocat avaient soulevé le fait que le règlement intérieur du supermarché, sur la base duquel la faute professionnelle avait été établie, était trop absolu et pas assez précis dans son obligation de neutralité. Le texte prévoyait l’interdiction d’arborer tout « signe ostentatoire à caractère politique, syndical et religieux pour les personnes en relation avec la clientèle ». Une rédaction qui vient percuter le principe selon lequel l’atteinte portée à une liberté individuelle (en l’occurrence l’expression religieuse) doit être proportionnée et justifiée par l’objectif recherché.

En matière de liberté individuelle, notamment religieuse, dans le cadre du contrat de travail, les juges s’appuient sur un article du Code du travail (art L.1121-1) selon lequel : « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. » Ce sont donc ces principes directeurs de proportionnalité et de justification qui sont appliqués, au cas par cas, par les juges.

Le conseil des prud’hommes de Lyon a jugé ici que cette obligation de neutralité générale et absolue qui impactait tous les pans des opinions qu’elles soient politique, syndicale ou religieuse était trop générale et absolue pour être légale. En outre, le « contact direct avec la clientèle » n’a pas été jugé comme une justification suffisante pour interdire la liberté d’expression religieuse de la salariée.

  •  Un jugement en décalage avec la jurisprudence ?

Ce jugement rendu par des juges prud’homaux de Lyon semble prendre le contre-pied de l’affaire Baby-loup, dont les soubresauts et les rebondissements ont abouti à une reconnaissance de l’interdiction de porter le voile au sein d’une crèche privée (lire « Le point sur » Liberté religieuse).

Même si les faits sont quasi similaires (retour d’un congé parental d’une salariée voilée et refusant de se découvrir à son poste), le contexte et la nature de l’activité exercée ne sont pas les mêmes, ce qui peut justifier cette divergence de solution. Dans le cas Baby-loup, il s’agissait d’une structure, certes privée, mais accomplissant une mission d’intérêt général (la garde des jeunes enfants). L’enjeu de protection de ce public particulièrement fragile a pu, pour la Cour de cassation, justifier l’atteinte à la liberté religieuse et l’interdiction du port du voile pour les salariés. Ici, nous nous trouvons dans le secteur marchand, face à une clientèle adulte et diverse dans ses convictions. En outre, le règlement intérieur était semble-t-il trop général et absolu dans sa rédaction, peut-être qu’une formulation plus nuancée aurait été « acceptable » pour les juges.

Une décision qui illustre bien le fait qu’en matière de libertés individuelles, l’articulation avec les obligations contractuelles des salariés est une affaire de contexte et doit être appréciée in concreto, au cas par cas.

Reste à savoir si la Cour d’appel voire la Cour de cassation, si elle est finalement saisie, suivront la philosophie adoptée par les juges de première instance.


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