Rapport contre le racisme ECRI 2016

Rapport de la commission européenne contre le racisme et l’intolérance : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/Country-by-country/France/FRA-CbC-V-2016-001-FRE.pdfrapport

Extrait : Intégration des femmes musulmanes

68. La société civile a attiré l’attention sur le fait que l’intégration des femmes musulmanes pose un problème particulier, notamment sous l’angle du port du voile. Dans son 4ème rapport, l’ECRI avait d’ailleurs recommandé aux autorités françaises de mener une campagne d’information et de sensibilisation auprès des agents des services publics et de la population majoritaire afin de prévenir tout cas de demande illégale et discriminatoire faite aux musulmanes portant le voile soit de le retirer soit de ne pas accéder au lieu public concerné. Les autorités françaises ont assuré avoir pris des mesures à cet égard. La promotion du « label diversité » participe également de cet effort.
69. Concernant plus particulièrement le cas de femmes musulmanes qui avaient été priées de retirer leur voile lorsqu’elles participaient à des sorties scolaires comme parents accompagnateurs, l’ECRI note que le Conseil d’Etat a rendu en décembre 2013 un avis indiquant que les parents accompagnateurs ne sont pas des collaborateurs du service public et qu’ils échappent donc à l’obligation de neutralité religieuse. Cependant, la circulaire n° 2012-056 recommandant l’interdiction d’accompagner les sorties scolaires aux mères d’élèves portant un voile n’a pas été abrogée ou amendée suite à cet avis du Conseil d’Etat. L’ECRI constate que les établissements scolaires conservent une large marge d’appréciation dans la mise en oeuvre de ces dispositions, et que des incidents de même nature se reproduisent régulièrement. 70. L’ECRI recommande aux autorités françaises de clarifier la réglementation concernant le port du voile par les mères accompagnant les sorties scolaires et à prendre des mesures pour assurer que les décisions prises par les autorités scolaires sont exemptes de toute dimension discriminatoire, y compris en prévoyant, le cas échéant, des sanctions appropriées.
71. Dans son 4ème rapport, l’ECRI faisait état de débats concernant l’interdiction de la burqa ou du niqab dans les lieux publics. En octobre 2010 a été adoptée une loi n° 2010-1192 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public. L’ECRI prend note de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire S.A.S. c. France n° 43835/11 dans lequel la Cour a jugé cette interdiction justifiée au regard de l’objectif du « vivre ensemble » souligné par l’Etat français.
72. Dans son 4ème rapport faisait état de problèmes découlant d’une mauvaise interprétation de la loi n° 2004-228 du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. L’ECRI note que des cas de cette nature se sont reproduits comme, en avril 2015, dans la ville de Charleville-Mézières où une jeune fille s’est présentée à son collège avec une jupe dont les autorités scolaires ont estimé qu’elle s’apparentait à un signe ostentatoire. L’ECRI observe que, dans ce cas comme dans d’autres, le ministère de l’Education a réagi en rappelant les dispositifs applicables et les obligations des acteurs concernés.
73. Dans son 4ème rapport, l’ECRI soulignait aussi le problème des discriminations dans l’emploi. Plusieurs affaires de licenciement où le port du voile entrait en jeu ont contribué au développement de la jurisprudence. Dans l’affaire « Baby-Loup », la Cour de Cassation a confirmé dans un arrêt de juin 2014 les conditions dans lesquelles une entreprise privée ou une association peuvent restreindre la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses. Dans une autre affaire, la chambre sociale de la Cour de cassation a adressé en avril 2015 une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne pour vérifier si le souhait d’un client d’une société de ne plus voir des prestations assurées par une salariée portant un foulard islamique peut constituer ou non une exception d’exigence professionnelle prévue à la directive 78/2000/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de
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traitement en matière d’emploi54 et dont la réponse qui y sera apportée permettra de continuer à clarifier la question des discriminations dont peuvent être victimes les femmes portant le voile.
74. Comme les autorités françaises ne maintiennent pas de système de collectes de données relatives aux discriminations, la délégation de l’ECRI a étudié ces cas lors de consultations avec des organisations représentatives des différentes communautés religieuses ou non-convictionnelles et avec différentes ONG, notamment en Seine-Saint-Denis et à Clichy-sous-Bois. Celles-ci se sont unanimement accordées à dire que le modèle républicain, le principe d’égalité des citoyens et l’organisation laïque de la société constituent des valeurs favorisant la cohabitation pacifique.

75. L’ECRI considère que deux situations peuvent compromettre cet équilibre républicain. Tout d’abord, ainsi qu’elle l’a déjà constaté à propos du discours de haine, la classe politique peut, au nom d’une conception restrictive de la laïcité, amener des propositions qui sont perçues comme sources de discrimination. L’ECRI se réfère par exemple à la décision du maire de Chalon-sur-Saône, en mars 2015, de ne plus proposer de repas de remplacement sans porc dans les cantines de sa commune, ou à divers projets de loi, comme le projet de loi « Ciotti » visant à étendre la prohibition du port du voile de la loi de 2004 aux salles de cours, lieux et situations d’enseignement et de recherche des établissements publics d’enseignement supérieur, ou comme le projet de loi « Laborde » visant à imposer la laïcité aux structures privées accueillant la petite enfance. Concernant ce projet, l’ECRI note d’ailleurs que la CNCDH, l’Observatoire de la laïcité et le Conseil économique, social et environnemental en demandent l’abandon. L’ECRI rappelle ici, encore une fois, sa recommandation concernant l’exploitation du racisme dans le discours politique (voir § 39). Enfin, l’ECRI note que le concept de laïcité est le sujet d’un vif débat au sein de la société française, mais constate que les mesures 24 à 27 du plan 2015 visant à donner à l’école les moyens de transmettre et faire vivre les valeurs de la République contribueront à le clarifier au niveau du système scolaire et comprend que les mesures 6 à 8 de ce plan permettront d’atteindre un objectif similaire au sein de la société française dans son ensemble.

76. Ensuite, l’ECRI observe que certains groupes instrumentalisent une identité ethnique ou religieuse pour promouvoir des exigences qui peuvent aller jusqu’au déni des valeurs de la République définies dans l’article premier de la Constitution55, voire même de la loi. L’étude réalisée en 2014, conjointement par l’Observatoire du fait religieux en entreprise (OFRE) et l’Institut Randstad montre par exemple que des demandes d’employés liées à la religion sont relatives : au souhait de ne pas travailler avec une femme (environ 8%) ; de ne pas vouloir travailler avec des collègues qui ne soient pas des coreligionnaires (environ 8%) ; de ne pas travailler sous les ordres d’une femme (environ 5%) ; ou au refus de travailler avec un collègue pour d’autres motifs religieux (environ 3%). Ici, l’ECRI considère important de rappeler à toutes les composantes de la société les principes fondamentaux des droits de l’homme et s’étonne de ne pas trouver clairement la trace d’une telle action dans le plan 2015. 77. L’ECRI recommande aux autorités françaises de compléter le plan d’action 2015 de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, et d’y inclure une nouvelle action (ou préciser une action existante) visant à procéder à une campagne de
54 Cette directive a été transposée en droit français à l’article L. 1133-1 du code du travail.
55 La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales
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sensibilisation sur les principes des droits de l’homme applicables en matière de discrimination raciale et sur les lois à respecter en la matière.
78. Enfin, l’ECRI observe que l’intégration des femmes musulmanes passe également par leur représentation dans les manuels scolaires, ainsi qu’elle l’avait déjà noté dans son 4ème rapport56, que cette question touche d’ailleurs très largement l’ensemble des groupes vulnérables constitués de personnes provenant d’anciennes colonies, et considère que des réponses à ces questions renforceront ses recommandations précédentes en matière d’éducation (voir § 44). 79. L’ECRI recommande aux autorités françaises de poursuivre les efforts visant à supprimer des manuels et des programmes scolaires toute référence encourageant les préjugés et les stéréotypes à l’encontre de groupes vulnérables.

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