Trente ans de législation antiterroriste

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Après les attentats de janvier 2015 perpétrés à Paris, un débat émerge sur l’opportunité ou non de renforcer l’arsenal législatif contre le terrorisme. Après ceux perpétrés à Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015, le président de la République, outre l’instauration de l’état d’urgence, souhaite une révision de la Constitution pour « agir contre le terrorisme de guerre ».

Dès les années 1970, la France été confrontée à des vagues successives d’actions terroristes. Ces actions se sont multipliées dans les années 1980. En 1995, une nouvelle série d’attentats a frappé le pays. Des lois antiterroristes majeures (1986, 1996) ont été adoptées après ces vagues d’attentats. Dans les années 2000, d’autres textes ont été votés en réaction au 11 septembre 2001 mais aussi aux attentats de Madrid (2004) et de Londres (juillet 2005).

Depuis 1986, les affaires terroristes échappent aux juridictions ordinaires. Les enquêtes sont confiées à des magistrats instructeurs ou des procureurs spécialisés. Les cours d’assises pour les crimes terroristes sont composées exclusivement de magistrats, et non de jurés. L’expression association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste apparaît dans le code pénal dans les années 1990 et devient un délit passible de 10 ans de prison en 1996. En 2006 et 2008, 2011 et 2013, les textes prennent en compte le développement du cyberterrorisme.

Vie publique vous propose de revenir sur les principales dispositions des textes législatifs adoptés depuis trente ans pour la lutte contre le terrorisme.

9 septembre 1986
Promulgation de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et aux atteintes à la sûreté de l’État. Elle définit la notion de terrorisme et en tire des conséquences procédurales : extension de la durée de la garde à vue à quatre jours, report de l’intervention de l’avocat à la 72è heure de garde à vue, alourdissement des peines, incrimination de l’apologie de terrorisme, indemnisation des victimes de terrorisme (alimenté par un fond prélevé sur les assurances privées), autorisation des perquisitions domiciliaires même sans l’assentiment des personnes suspectées, exemption de peines pour des criminels qui empêchent la réalisation d’un attentat. Le texte crée un corps spécialisé de juges d’instruction et de procureurs, le service central de lutte antiterroriste, communément appelé « 14è section du parquet« , pour traiter tous les dossiers de terrorisme. Pour les crimes de terrorisme, sont institués les procès devant des magistrats professionnels à la cour d’assises de Paris, ce qui constitue une exception à la règle du procès de cour d’assises devant un jury populaire.

10 juillet 1991
Promulgation de la loi du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications, visant à réglementer les écoutes judiciaires et administratives et instituant une commission de contrôle de la légalité des interceptions des communications téléphoniques et stipulant qu’il ne peut être porté atteinte à ce secret que par l’autorité publique et dans les seuls cas de nécessité d’intérêt public.

Les interceptions de sécurité ou écoutes administratives peuvent être autorisées, à titre exceptionnel, pour les motifs prévus par la loi : sécurité nationale, sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France, prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées, reconstitution ou maintien de groupements dissous en application de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées.

22 juillet 1992
Promulgation de la loi portant réforme des dispositions du code pénal relatives à la répression des crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique. Elle insère les actes de terrorisme dans le nouveau code pénal, pour en faire des infractions spécifiques et plus sévèrement sanctionnées.

16 décembre 1992
Promulgation de loi relative à l’entrée en vigueur du nouveau code pénal et à la modification de certaines dispositions de droit pénal et de procédure pénale rendue nécessaire par cette entrée en vigueur. Elle maintient et précise la procédure dérogatoire applicable aux actes de terrorisme.

1995
Instauration du plan gouvernemental Vigipirate. Il définit la répartition des responsabilités ainsi que les principes de l’action de l’État dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il définit différents niveaux de vigilance et des mesures spécifiques de vigilance et de prévention en cas de menaces particulières.

21 janvier 1995
Promulgation de la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité. Un certain nombre de dispositions du texte ont pour objet de permettre un développement du recours à la vidéosurveillance afin d’accroître la protection des lieux publics ou ouverts au public ainsi que celle des bâtiments et installations susceptibles d’être exposés à des actes terroristes.

18 février 1995
Promulgation de la loi relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative. Elle allonge la prescription des crimes et des délits terroristes.

22 juillet 1996
Promulgation de la loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et des atteintes aux personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public et comportant des dispositions relatives à la police judiciaire. Le texte introduit un délit d’association de malfaiteurs en relations avec une entreprise terroriste. Le législateur avait souhaité introduire dans la liste des actes terroristes le délit d’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier des étrangers. Le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition, estimant que le législateur avait « entaché son appréciation d’une disproportion manifeste ».

30 décembre 1996
Promulgation de la loi relative à la détention provisoire et aux perquisitions de nuit en matière de terrorisme, qui autorise les perquisitions de nuit en enquête de flagrance, préliminaire ou au cours de l’instruction.

29 décembre 1997
Promulgation de la loi tendant à faciliter le jugement des actes de terrorisme, qui permet de délocaliser, si nécessaire, les juridictions spécialisées ailleurs qu’à Paris.

15 novembre 2001
Promulgation de la loi relative à la sécurité quotidienne, qui renforce les pouvoirs des agents de police judiciaire en matière de contrôles d’identité pour lutter contre le terrorisme (fouille des véhicules, dans les zones portuaires, les aérodromes), ou des agents de sécurité privés, qui sous condition d’être habilités par un représentant de l’État, peuvent procéder à des fouilles et palpations en cas de forte suspicion ; cette fouille est censée être soumise à un accord de la personne suspectée. La « fouille au corps » peut être poussée jusqu’à des « sondages anatomiques », mais ne peut être pratiquée que dans un établissement de type commissariat ou gendarmerie. La loi créé le délit de financement des actes de terrorisme et prévoit la peine de confiscation générale de l’ensemble des biens des personnes coupables d’actes de terrorisme.

29 août 2002
Promulgation de la loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure. Un article annexe à la loi est consacré au renforcement de la lutte contre la menace terroriste et la criminalité organisée : il s’agit de rendre plus efficaces la recherche et l’exploitation du renseignement en renforçant la collaboration entre services et la formation au renseignement, de développer au niveau international les coopérations institutionnelles. La loi prévoit la création d’une nouvelle base de données informatique, dite Application de rapprochement, d’identification et d’analyse pour les enquêteurs (ARIANE) qui devrait regrouper en 2008 les informations de deux fichiers, le système de traitement des infractions constatées (STIC) et le système judiciaire de documentation et d’exploitation (JUDEX).

18 mars 2003
Promulgation de la loi pour la sécurité intérieure. Elle tend à faciliter les enquêtes en rendant certaines règles de la procédure policière plus efficaces. Il s’agit, par exemple, de permettre aux policiers et gendarmes de procéder à la visite des coffres des véhicules dans certaines circonstances et sous le contrôle de l’autorité judiciaire, de donner aux officiers de police judiciaire une compétence au moins départementale, de rendre plus utiles les fichiers de recherche criminelle, notamment le fichier national des empreintes génétiques (FNAEG), enfin, de proroger jusqu’au 31 décembre 2005 les dispositions de la loi relative à la sécurité quotidienne qui renforcent la lutte contre le terrorisme.

9 mars 2004
Promulgation de la loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité qui crée de nouvelles possibilités d’investigations applicables en matière de terrorisme et de délinquance ou de criminalité organisée : juridictions interrégionales spécialisées, extension du statut de repenti ou « plaider coupable », écoutes téléphoniques lors de l’enquête.

23 janvier 2006
Promulgation de la loi relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, qui autorise une garde à vue de six jours en cas de risque d’attentats. Dans son article 6, la loi impose aux opérateurs télécoms, aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) mais aussi à tout établissement public proposant un accès au net, comme les cybercafés, de conserver les données de connexion (logs) pendant un an. La loi prévoit que l’accès à ces logs, par les autorités policières, n’est plus soumis à l’autorisation d’un magistrat, et donc effectué sous contrôle judiciaire, mais simplement à celle d’un haut fonctionnaire de la police nommé par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Saisi sur la question du passage d’un contrôle judiciaire à un contrôle administratif, le Conseil constitutionnel a estimé que la prévention du terrorisme n’était pas du domaine judiciaire.

1er décembre 2008
Promulgation de la loi visant à prolonger l’application des articles 3, 6 et 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers. Ce texte prolonge jusqu’au 31 décembre 2012 (au lieu du 31 décembre 2008) plusieurs dispositions de la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme. Ces dispositions concernent les contrôles d’identité à bord des trains transfrontaliers, le dispositif de réquisition administrative des données relatives aux communications électroniques et l’accès des services de lutte contre le terrorisme à certains fichiers administratifs.

14 mars 2011
Promulgation de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure qui permet la captation de données informatiques.

14 avril 2011
Promulgation de la loi relative à la garde à vue qui renforce la présence de l’avocat en garde à vue, y compris pour les gardes à vue en matière de terrorisme.
Cependant la garde à vue en matière de terrorisme demeure spécifique sur deux points :

  • l’accès à l’avocat peut être reporté pour raisons impérieuses tenant aux circonstances particulières de l’enquête, soit pour permettre le recueil ou la conservation de preuves, soit pour prévenir une atteinte aux personnes, pour un délai maximal de 72 heures (ce délai est de 12 ou 24 heures maximum selon les cas en droit commun, et de 48 heures en matière de criminalité et délinquance organisées).
  • la durée maximum de garde à vue (48 heures en droit commun) peut être prolongée par un magistrat (juge des libertés et de la détention ou juge d’instruction selon la procédure). Elle peut ainsi être portée à 96 heures (4 jours) y compris pour des mineurs de 16 ans et plus, impliqués « comme auteurs ou complices à la commission de l’infraction« . Exceptionnellement, elle peut être portée à 144 heures (6 jours) s’il existe un risque sérieux de l’imminence d’une action terroriste en France ou à l’étranger ou si les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement.

21 décembre 2012
Promulgation de la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme. Depuis 2005, la surveillance, dans un but préventif des données de connexion (internet, géolocalisation, factures détaillées de téléphone) est autorisée. La loi prolonge jusqu’au 31 décembre 2015 cette disposition temporaire qui arrivait à expiration le 31 décembre 2012. Par ailleurs, la loi modifie le code pénal permettant de poursuivre les actes de terrorisme commis par des ressortissants français à l’étranger et les personnes ayant participé à des camps d’entraînement terroriste à l’étranger.

6 février 2013
Présentation en Conseil des ministres par le ministre des Affaires Étrangères d’un projet de loi permettant la ratification d’une convention du Conseil de l’Europe qui étend l’utilisation des outils juridiques prévus dans cette convention au service de la lutte contre le financement du terrorisme et permet un accès rapide aux renseignements financiers ou relatifs aux actifs détenus par les organisations criminelles, y compris les groupes terroristes.

13 novembre 2014
Promulgation de la loi (JO du 14) renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme qui prévoit l’interdiction du territoire des suspects candidats au djihad et crée un délit d’entreprise terroriste individuelle.

24 juillet 2015
Promulgation de la loi sur le renseignement (JO du 26). Entrée en vigueur début octobre, la loi définit un cadre dans lequel les services de renseignement sont autorisés à recourir à des techniques d’accès à l’information. Le recours à ces techniques de surveillance devra obéir à une procédure définie par la loi : les demandes écrites seront adressées au Premier ministre. Le Premier ministre donnera ou non son accord après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).

Octobre 2015
Examen, à partir du 1er octobre, d’une proposition de loi permettant de légaliser la surveillance des communications internationales. Le texte stipule notamment que « peut être autorisée, aux seules fins de la défense et de la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation (…) la surveillance des communications qui sont émises ou reçues de l’étranger ».

13-15 novembre 2015
Le 13, des attentats perpétrés à Paris et à Saint-Denis font plusieurs centaines de victimes. Le 14, le Conseil des ministres, réuni à 0 heure, adopte un décret déclarant l’état d’urgence (JO du 14) qui a une durée de validité du 12 jours. Un décret spécifique à l’Ile-de-France est également publié. Ces décrets permettent aux préfets de restreindre les déplacements, d’interdire le séjour dans certaines parties du territoire à toute personne susceptible de créer un trouble à l’ordre public, d’interdire certaines réunions publiques, de fermer des lieux de réunion, d’assigner à résidence des personnes dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre public, etc. Le 15, publication d’un décret déclarant 3 jours de deuil national en hommage aux victimes des attentats du 13.

16 novembre 2015
En application de l’article 18 de la Constitution, convocation par le président de la République du Congrès (réunion des députés et des sénateurs). Déclaration du président de la République devant le Congrès dans laquelle il fait plusieurs annonces : présentation d’un projet de loi prolongeant l’état d’urgence, intensification des opérations françaises en Syrie, demande d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU dans les meilleurs délais pour adopter une résolution de lutte contre le terrorisme, révision de la Constitution pour « agir contre le terrorisme de guerre », création de postes supplémentaires dans les forces de sécurité (police, gendarmerie, douanes et aussi justice).

18 novembre 2015
Présentation en Conseil des ministres d’un projet de loi prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions. Le texte prévoit de prolonger l’état d’urgence pour une durée de trois mois à compter du 26 novembre 2015. Le texte modifie et élargit le dispositif d’assignation à résidence. Il rend possible les perquisitions administratives dans tous les lieux (lieux publics, lieux privés qui ne sont pas des domiciles, véhicules). Le texte prévoit aussi la dissolution en Conseil des ministres des associations ou groupements de fait qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public, dans des conditions spécifiques à l’état d’urgence, compte tenu notamment du rôle de soutien logistique ou de recrutement que peuvent jouer ces structures.


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