La laïcité: notion biaisée par les politiques

LIBERATION, SONYA FAURE 27 MARS 2015

Dans le milieu universitaire, l’obsession du voile et des menus de cantine font bondir une majorité de chercheurs.
Depuis 1991 et la création d’une chaire d’histoire et de sociologie de la laïcité à l’EPHE, une cinquantaine d’universitaires débattent du concept. Ces chercheurs, qui privilégient une approche ouverte, reconnaissent avoir du mal à convaincre les élus.

On la voit dans les côtelettes de porc servies à la cantine. On va la chercher dans les cheveux des puéricultrices de crèches et des étudiantes de fac. «La laïcité est récemment devenue la quatrième valeur de la devise républicaine française», note Valentine Zuber, historienne. Problème : alors que, depuis les attentats de janvier, les dirigeants politiques, à droite bien sûr mais aussi à gauche, ont convoqué la laïcité pour sceller l’union nationale, personne ne s’entend en réalité sur ce qu’elle signifie. Ce mot devenu parapluie, mécompris, distordu, et parfois instrumentalisé, abrite désormais des versions opposées. Laïcité libérale ou extensive ? Pour les partisans de la première, l’Etat doit être neutre et se borner à organiser la coexistence des convictions de chacun. Pour les seconds, les citoyens doivent aussi accepter de devenir un peu plus neutres dans l’espace public. Les premiers mettent au-dessus la libre expression individuelle et donc des croyances ; les seconds privilégient une cohésion nationale qui nécessiterait de lisser les différences culturelles ou cultuelles.
Qu’en disent les universitaires qui travaillent, précisément, sur la laïcité ? Que nous apprennent-ils sur ce mot polyphonique ? Premier constat : dans le milieu universitaire, l’obsession du voile et des menus à la cantine, brandie par Nicolas Sarkozy pendant la campagne des départementales, et plus largement le besoin de refonder la laïcité dans un sens plus restrictif, font bondir une majorité de chercheurs. Ceux-là dénoncent un dangereux dévoiement du concept par la classe politique. «Ces discriminations légales [envers les femmes voilées, ndlr] sont en train de construire un régime juridique d’exception, qui bafoue le droit à l’éducation et le droit au travail», écrivaient ainsi Marielle Debos, Abdellali Hajjat, Stéphanie Hennette Vauchez dans Libération (édition du 11 mars). Continuez la lecture

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« Oui, les musulmans sont en accord avec la République »

CNRS Le Journal, 31.03.2015,
La plupart des médias et des politiques continuent de diffuser l’image de musulmans tiraillés entre leur supposée identité religieuse et leur adhésion aux valeurs de la République. La chercheuse Nadia Marzouki nous explique pourquoi cette vision n’est pas fondée.

Parmi les nombreuses interrogations suscitées par les attentats de janvier, la question de la prétendue incompatibilité de l’islam avec la laïcité est, une fois de plus, apparue au premier plan. Face à la énième réitération de ce débat dans les champs médiatique et politique, on sent une certaine lassitude, voire du découragement, chez les chercheurs spécialistes de l’islam en France. Car cela fait au moins depuis les années 1990 que les enquêtes de sciences sociales ont fait apparaître la non-pertinence de questions du type « peut-on réformer l’islam ? » ou « l’islam est-il compatible avec… ? ». Ce que montrent tous ces travaux, c’est que la question de la sécularisation n’a de sens que lorsqu’elle est posée au niveau des pratiques concrètes et que, de ce point de vue, la majorité des musulmans français s’accommodent très bien des règles de la laïcité. Plutôt que demander si l’islam est compatible avec la laïcité ou comment le réformer, il convient aujourd’hui de se demander pourquoi le fait accompli de la sécularisation des musulmans français est toujours en question.

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Forum Social Mondial 2015

Quelque 4 300 organisations de 120 pays vont participer à Tunis, du 24 au 28 mars,  au FSM  et débattre des questions sociales culturelles et géopolitiques d’actualité.
La Commission Islam et Laïcité participe au Forum sur le thème « Religion et émancipation ».
Vous pouvez télécharger la contribution de Pierre Saly à cette thématique : Religion et émancipation

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Que recouvre le terme d’islamophobie?

Racisme et actes xénophobes

L’Humanité

Mercredi, 18 Mars, 2015

AFP
Débat avec Marwan Mohammed Sociologue chargé de recherches 
au CNRS Éric Coquerel Coordinateur politique du PG, conseiller régional d’Île-de-France et David 
Isaac Haziza Ancien élève 
de l’ENS ULM, doctorant 
à Columbia University
  • Islamophobie et critique des religions. Au-delà des mots par Marwan Mohammed Sociologue chargé de recherches 
au CNRS

Dans un communiqué du 12 mars 2015, l’un des leaders du Front de gauche, Jean-Luc Mélenchon, s’est réjoui de la condamnation, pour diffamation à son encontre, d’Alain Juppé, de Jean-François Copé et de Nathalie Kosciusko-Morizet, qui l’avaient accusé de nourrir l’antisémitisme. En conclusion de son communiqué, M. Mélenchon rappelle à juste titre que « cette banalisation dans l’accusation d’antisémitisme est irresponsable et dangereuse pour la République ». Ce qui est dit très justement dans cette phrase, c’est que certaines utilisations des mots qui nous servent à désigner les différentes formes de racisme sont malhonnêtes, dangereuses et parfois simplement erronées. Et il a raison. Mais le problème vient-il des mots ? Non. Faut-il les bannir en raison de leurs mésusages ? Non plus, et tant mieux, car, par exemple, le mot antisémitisme, malgré ses nombreuses imperfections, est nécessaire pour désigner cette forme de racisme qui, comme toutes les autres, est odieuse, a sa propre histoire et vise une partie spécifique de la population (ce qui ne doit pas occulter la nécessité de combattre tous les racismes ensemble, dans la convergence et sans hiérarchisation). La nécessité de distinguer un concept et ses usages est donc une idée banale qui pourrait s’appliquer au mot islamophobie, mais que refusent des personnalités publiques et des organisations, dont le Parti de gauche de Jean-Luc Mélenchon. Ceux qui pointent le fait qu’il y a un risque de pervertir le terme d’islamophobie pour faire taire toute critique de la religion musulmane ont raison sur le fond. Mais est-ce le terme ou certains de ses usages qui posent problème ? Faudrait-il alors bannir tous les mots susceptibles d’être instrumentalisés ? Pour dépasser ces polémiques sans fin et parfois douteuses sur le terme d’islamophobie – au lieu de se focaliser sur la réalité de plus en plus alarmante qu’il désigne –, il est toujours possible d’exercer ce sens critique, que l’on chérit tant, sur les usages dont il fait l’objet dans le débat public. Continuez la lecture

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Pas au nom du féminisme !

Julie PAGIS

Libération 13 mars 2015

Après avoir essayé de surfer sur l’«esprit du 11 janvier» pour faire passer la loi Macron (qui détricote encore plus le droit du travail), encouragé les enseignants à signaler les élèves récalcitrants à la minute de silence, voilà que notre gouvernement, par la voix de sa secrétaire d’Etat aux droits des femmes, Pascale Boistard, avance la proposition d’interdire le port du voile à l’université. Comment en est-on arrivés à ce que la laïcité et le féminisme se retrouvent, une fois encore (mais ici par le PS), instrumentalisés au profit de politiques discriminatoires ?

Qui seraient les personnes visées par une telle loi ? Des femmes, majeures, musulmanes. Il s’agirait donc de discrimination sexiste. Au nom du féminisme. Pour résumer : les partisans de cette proposition prônent une loi qui viserait finalement à exclure du système éducatif ces femmes qu’ils prétendent vouloir défendre !

Comme le soulignent les universitaires à l’origine d’une lettre ouverte à Mme Boistard, publiée le 8 mars dans Libération (qui a reçu l’appui de plus de 1 800 universitaires à ce jour et à laquelle je me suis associée, en tant qu’universitaire et féministe), cette dernière ne peut ignorer que depuis plus de dix ans, la question du voile «n’a fait qu’instrumentaliser à moindres frais les droits des femmes au profit de politiques racistes, aux relents paternalistes et colonialistes». Ni que la laïcité, c’est l’interdiction du port de signes religieux pour les agents de l’Etat et non pour les citoyens auxquels la loi garantit, par contre, la liberté de culte.

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La «néolaïcité» ou le risque d’amalgame

LIBERATION 11 mars 2015

TRIBUNE

Deux mois après les tueries de Charlie Hebdo, de Montrouge et du supermarché Hyper Cacher, la laïcité – plus précisément une néolaïcité – est au centre des débats publics. Le cadrage «néolaïque» s’est encore imposé. Des acteurs politiques de droite comme de gauche établissent un lien entre les attentats de janvier et de supposées menaces sur la laïcité. Lire l’article.

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Les mouvements populistes anti-musulmans aux Etats-Unis

Rencontre-débat Jeudi 19 mars avec Nadia Marzouki

A la LDH – 138, rue Maracadet – 75018 Paris

Cette communication évoquera les mouvements anti-musulmans qui se sont multipliés aux Etats-Unis depuis la fin des années 2000 et qui protestent contre la construction de mosquées ou contre la prétendue infiltration de la Sharia dans les tribunaux américains. Le discours anti-musulman s’inspire d’une longue tradition de rhétorique populiste, qui a été utilisée contre plusieurs minorités religieuses. Aujourd’hui, dans la rhétorique des Tea Parties, l’opposition entre  Amérique et islam se superpose à l’opposition entre peuple et élite. Si ce discours populiste anti-musulman s’est étendu au-delà des cercles des activistes des Tea Parties, les musulmans américains ont toutefois réussi eux aussi à se faire une place dans  la culture mainstream et dans le grand récit national du pluralisme et de la démocratie.

Nadia Marzouki, docteure en science politique de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (2008) est chargée de recherche au CNRS et membre du CESPRA. Ses recherches examinent les controverses sur l’islam aux Etats-Unis et en Europe, et les débats sur la liberté religieuse en Occident et au Maghreb. Elle est l’auteure de L’Islam, une religion américaine? (Le Seuil, 2013) et a co-édité avec Olivier Roy et Duncan McDonnell, Saving the People, how Populists Hijack Religion? (Hurst, 2015).

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Après-Charlie : dire haut et fort le droit, l’équité et la dignité

Rédigé par Sonia Dayan-Herzbrun | Mardi 10 Mars 2015
Le 8 mars est célébrée la Journée internationale des droits des femmes, ce qui offre un prétexte de plus aux médias pour s’indigner du sort que les pays dits musulmans réservent aux femmes. Bien entendu, c’est l’islam qu’on incrimine, et jamais les systèmes de pouvoir qui invoquent la religion pour mieux opprimer et réprimer leurs populations, et flatter les plus bas instincts de certains des hommes qui la composent pour mieux s’assurer de leur soutien ou de leur silence.Le pseudo-féminisme islamophobe des médias dominants a-t-il été exacerbé par la peur qu’ont suscitée les attentats des 7 et 9 janvier ? « Je suis Charlie », ce slogan imposé, dans lequel on a d’abord voulu ne voir qu’une exigence de liberté d’expression, s’est-il transformé en l’impératif d’adhérer aux idées couramment associées aux dessins et aux textes de Charlie Hebdo ?

On est en droit de le penser, surtout après avoir écouté tous ceux qui sont venus témoigner de leur souffrance au meeting contre l’islamophobie qui s’est tenu à Saint-Denis vendredi 6 mars. Mais ces témoins étaient d’une dignité et d’un courage extraordinaires.

C’est cela aussi, ce que l’on appelle l’après-Charlie. Cette volonté de ceux que l’on cherche à faire taire et à rendre invisibles, de ne pas baisser la tête. Contre la mauvaise foi (en tous les sens du terme), la rage et la bêtise ambiantes, obliger à voir, à entendre, à faire advenir le droit et l’équité. Obnubilés qu’ils sont par la peur et de perdre les élections et de déplaire au patronat, ceux qui nous gouvernent ne voient et n’entendent rien.

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« Neutralité » religieuse dans les crèches et les universités ? Halte à la stigmatisation des musulman·e·s !

par le Gisti

Depuis le milieu des années 1980, la litanie des lois relatives à l’immigration qui reviennent avec la régularité d’un métronome concourt à la mise à l’index d’une partie de la population : celle qui est aussi la cible des discours xénophobes. Participe de cette mise à l’index la stigmatisation des femmes portant un voile et, au-delà, de l’ensemble des musulmans et des musulmanes, devenus la préoccupation obsessionnelle de la classe politique.

Alors que tous les responsables politiques ont crié haut et fort, après les attentats de janvier 2015, qu’il fallait se garder de tout amalgame et ne pas rejeter sur les musulmans de France la responsabilité des attentats terroristes, voilà que les uns et les autres mettent aujourd’hui en avant la nécessité de légiférer, une fois de plus, sur des pratiques liées à l’islam, en proscrivant le port de tenues et de signes religieux jugés « ostentatoires ».

On voit ainsi les socialistes avec leurs alliés radicaux de gauche, d’un côté, l’UMP, de l’autre, faire assaut d’imagination et se livrer à un véritable concours Lépine de l’extension du domaine de la « laïcité » au nom d’une neutralité religieuse… dirigée exclusivement contre les musulmans et plus particulièrement les musulmanes.

 
Ces dernières semaines ont ainsi refait surface deux propositions lancées dans le débat public depuis quelques années. L’UMP, en la personne d’Éric Ciotti, a déposé une proposition de loi afin d’étendre aux établissements publics d’enseignement supérieur le champ d’application de la loi du 15 mars 2004 interdisant « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » dans les écoles, collèges et lycées publics. À rebours de l’ensemble des positions constamment exprimées par la communauté universitaire et relayées par les présidents d’université, la secrétaire d’État aux droits des femmes a cru bon d’aller dans ce sens en affirmant qu’elle n’était pas « sûre que le voile fasse partie de l’enseignement supérieur ».

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Contre le voile à l’université, ou contre quelques étudiantes ?

TRIBUNE

Madame la secrétaire d’Etat déléguée aux droits des femmes,

Nous appartenons à la communauté universitaire et sommes tous en charge d’une mission de service public qui, au-delà de la formation, de l’enseignement supérieur et de la recherche, participe à construire un espace démocratique qui au jour le jour s’invente comme un espace de dialogues, de débats ; un espace traversé d’antagonismes (y compris avec nos présidences et conseils d’administration), mais aussi de solidarités, un espace ouvert sur le monde dont nous héritons en commun, une agora qui se recrée à chaque heure dans nos amphis, dans nos «cafèts», sur nos parvis ou les murs de nos campus, et ce, malgré les conditions matérielles déplorables qui sont celles de nos institutions. S’il y a bien un lieu dans notre République, où la liberté de pensée et d’expression, ou plutôt, le droit de cité se vit ici et maintenant, c’est encore au sein des universités – et même les tentatives qui ont visé à mettre à mal cette liberté autogérée (en envoyant ces dernières années les forces de l’ordre traditionnellement interdites dans nos espaces en cas de conflit, de contestation ou d’occupation) ne sont pas parvenues à nous désespérer de penser la complexité du monde social et les enjeux du vivre en commun, comme à en expérimenter les conditions possibles.

Or, vous ne pouvez ignorer que depuis plus de dix ans le voile, sur lequel vous vous exprimiez encore récemment, est une question qui n’a fait qu’instrumentaliser à moindres frais les droits des femmes au profit de politiques racistes, aux relents paternalistes et colonialistes – définissant pour les femmes de bonnes manières de se libérer, blanchissant une partie des associations féministes en les dédouanant de s’engager contre le racisme y compris dans leurs propres rangs et, inversement, en permettant à des associations dites «communautaires» d’assimiler le féminisme au bras armé de vos politiques islamophobes. La classe politique et votre parti, en exposant aux discriminations les plus brutales des femmes portant le voile (lynchages de jeunes filles, de femmes enceintes et de mères, discriminations à l’embauche, exclusions des écoles publiques, etc.), ont fait le lit des nationalismes et doivent être tenus pour responsables d’une situation de tension sociale sans précédent.

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